présentation

Parallèlement et simultanément à la composition proprement dite, d’œuvres instrumentales mais aussi électroacoustiques, dès les années 60, Martin Davorin Jagodic est conduit par la nécessité d’élargir les relations – et par là-même de les libérer- entre l’interprète et son environnement. Les éléments codés de la partition à exécuter et les rapports entre les interprètes eux-mêmes deviennent plus fluctuant, plus mobiles. Des objets sont dispersés dans une mise en scène de la musique qui, volontairement, différemment de ce qui se passait dans le théâtre musical, n’est pas conduite par le fil rouge pré-établit lié, provenant d‘un texte. Ils sont donc conduits par une dramaturgie musicale, qui paradoxalement ne peut se réaliser qu’au moyen d’autres objets que ceux uniquement sonores. (Dramaturgie ici, par référence au théâtre, se construit non pas comme un texte-communication, mais comme un texte-expression, donc par des moyens musicaux de structuration, de composition .) Cela peut aller si loin que c’est le non-dit -le cas le plus extrême serait l’absence du son-, qui nous parle par cette absence-même du sujet qu’est la musique. On distinguera différents types de travaux:

1- En premier lieu, la source sera la partition elle-même, ses multiples transformations, y compris graphiques: ce sont des ‘musiques à lire’, mais aussi à imaginer, et le cas échéant, à réaliser musicalement, mais aussi autrement. Déjà dans ces travaux on décèle un espace, comme une invitation de créer principalement des lieux et aussi des événements partant du texte .

2- Par extension, ces musiques à lire seront prises en tant “qu’objets”, et, comme multipliés en parties, ils seront projetés en divers endroits, par différentes techniques: diapositives, films, vidéos, rétroprojecteurs. Des points et des lignes de force se propagent pour décrire un espace: ces objets et lieux s’apparentent, quelquefois, aux installations, expositions, performances.

3- Depuis les années 80, ce sont des compositions de ré-écriture des musiques du passé, y compris du passé récent (XXè siècle) -bien entendu en plus des compositions originales-, qui mettent en œuvre plusieurs aspects particuliers de celles-ci. Non pas en les décomposant, mais en montrant des zones qui restent souvent impossibles à entendre: c’est une tentative de “relire”, de réinterpréter et d’abord par écrit. Mais aussi nouvelle pédagogie, par une analyse qui montre, qui met en avant les diverses façons dont peut être perçu, à des moments différents, tel ou tel fragment musical, à la fois son passé, son présent et ce qu’il anticipe, et par conséquent s’ouvre à ce qui échappait, en partie, au compositeur lui-même, et à l’époque au sens étroit du terme où telle ou telle œuvre fut écrite.

( À la fois un travail et une musique originale, mais en même temps différent des autres compositions. M. D. Jagodic s’en explique dans un texte: « Signaux, Répétitions, Fenêtres » -in la Revue d’Esthétique musiques présentes -82- où il parle de ses trois œuvres: « Mahleriana », « Répétitions pour un grand orchestre » et « Mouettes de Benjamin ». Depuis 88 ces travaux se multiplient, surtout à partir des musiques de Bruckner, Liszt, et de la Nouvelle École de Vienne…) Il est significatif que certaines de ces œuvres ont recourt à l’image: film et techniques interactives. Elles ne sont, redisons le autrement, ni citation, ni analyse, mais une prospective à plusieurs voies.

4- Enfin un quatrième aspect s’inscrit dans le droit fil de l’interprète de la musique et des éléments non sonores, extra-musicaux, développent des techniques particulières de composition prenant en charge l’image comme un des éléments de la musique. Cela mène à des montages utilisant diverses technologies dont celles de l’informatique pour l’image de synthèse et ses possibilités de mixage et d’interactivité.

Ici, le compositeur parle de “Musiques/Images, œuvres dont on ne peut pas plus retrancher l’une de l’autre que l’on ne supprimerait un instrument dans un quatuor à cordes. L’impact de l’image et de l’environnement, les temps dans lesquels tels ou tels événements se produisent, viennent en partie d’une façon originale, précisément musicale, d’observer des faits naturels, des lieux, des architectures, qu’il perçut durant son enfance et son adolescence. Ils l’incitaient non pas à les mettre en corrélation avec telle ou telle musique, mais à en extraire des structures d’articulation temporelles et formelles différentes de celles pratiquées dans les musiques de ce temps-là. Ainsi ce sont souvent des situations, des lieux ou enchaînements de lieux qui sont le point de départ d’une composition stricto sensu résultant d’une perception mêlée du sonore et du visuel.

Si autrefois, dans les œuvres “mixtes”, c’est le mot qui était prioritairement source d’inspiration, ici le rôle est imparti d’abord à l’image. Mais attention, quelles que soient les affinités, les relations s’établissant entre une perception et sa transformation qui peuvent provoquer une lecture musicale d’une image, dans beaucoup de ces pièces, les deux, la musique et ce qui n’est pas la musique génèrent une nouvelle perception, de nouveaux points de vue, variables des deux “médias”: nous l’éprouvons comme si leur fusion était rendue possible par un dénominateur commun.

Pour certaines musiques/images, c’est une image prise comme le condensé d’un scénario qui va être développé dans le temps et par là-même, provoquer une articulation, une structure, voire toute la forme musicale. Ici, la plupart de ces projets échappant aux catégories bien répertoriées, ni théâtre musical, ni opéra, ni cinéma, n’ont pu voir de début de réalisation qu’au début des années 90 lorsque le développement des nouvelles technologies (et plus précisément de l’image de synthèse et de l’incrustation vidéo), ont permis une première mise en forme; à l’exemple de “Allégorie”, pièce qui se développe à partir d’un tableau du peintre Flamand du 17ème siècle H. van Balen: “l’Allégorie de l’ouïe”. Une maquette a été réalisée grâce au concours d’un producteur indépendant. Cependant, à défaut de lieux ou d’instances de diffusion pour cette œuvre a-typique, et en l’absence de cadre institutionnel pour le soutenir, sa pleine réalisation n’en a pas été rendue possible.

D’autres musiques/images se forment à partir d’une idée ou d’un geste musical qui exigent d’être “prolongés” en un autre média: exemple d’une réalisation récente, les “Scènes de la vie d’un piano”. Ici nous avons ensemble de ces pièces qui ne tracent pas une histoire, mais se structurent et dispersent en n– événements prenant source dans les diverses visions, perceptions de l’instrument lui-même, des gestes du musicien, des objets ajoutés au piano, y compris à l’intérieur de l’instrument. S’y ajoutent quelques autres instruments et personnages, objets relatifs au temps et à l‘espace, figures saisies au vol… tout cela forme un tissu où les rencontres des micro-structures, micro-événements, nous apparaissent à priori comme imprévisibles.

C’est en prolongement de ces perceptions particulières que se développe dans ses dernières années certains travaux dont l‘origine remonte parfois à ses premières années d‘études musicales, et qui prennent forme grâce au développement des technologies interactives. Elles ont permis de mettre en évidence ce qui était déjà là, par exemple dans “Tempo Furioso” (1976 disque 33t dont il est proposé beaucoup d’écoutes sur internet) qui demandait à l’auditeur de pratiquer lui-même des superposition de la face A et de la face B en posant la tête de lecture aléatoirement, le compositeur offrant la possibilité d’envoyer d’autres éléments supplémentaires. Ainsi, les “Musique pour orchestre virtuel” est un projet ambitieux qui se révèle comme une tentative de créer d’autres modes compositionnels, d’élargir le champs des possibles par la prise en compte de l’élément spatial et des dimensions acoustiques et physiques tels que la virtualité des outils informatiques nous en ouvre la voie. Immergeant le spectateur au centre de la musique qui se joue, ce seront sa position dans l’espace et ses réactions aux événements qui se jouent qui introduiront les variations de la musique et influeront sur le choix de l’interprétation d’une partition composée non plus seulement linéairement, mais en ‘couches’, dans sa troisième dimension. Ainsi, nous inventerions des objets qui créeraient de nouvelles perceptions, qui sont donnés à voir et à entendre dans une quête toujours inépuisée de la liberté.

Mais, dans l’état de nos technologies numériques, cette liberté est de fait contrainte par des opérations de segmentation en unités successives. Ces découpages opérés dans la linéarité temporelle peuvent être brouillés par l’empilement, en parallèle, d’événements agissant dans la verticalité spatiale. Si chaque objet linéaire peut-être très organisé et composé, la verticalité des empilements, donc de chaque strate, peut faire l’objet de déplacements horizontaux et d’apparitions ou de disparitions ; s’ouvre alors une multiplicité de possibles rencontres.

Maintenant alors, répétition et variation ne sont pas élaborées seulement de façon linéaire.

Elisabeth Son

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